Cholon
Cholon, en langue annamite, cela signifie "Grand Marché". Et c'est bien vrai: Cholon n'est qu'un immense emporium, un caravansérail qui rappelle par certains côtés les soukhs algériens. Même grouillement de foule, mêmes rues étroites, mêmes impasses inquiétantes, - avec, en plus, dominant tous les autres bruits, le claquement immense et continu de milliers de sandales de bois sur l'asphalte.
A l'origine, le nom de Cholon s'appliquait a toute l'agglomération qui correspond aux villes actuelles de Saigon et Cholon. Les Français ont fondé Saigon, - déformation de l'annamite cây gon, le kapokier. Administrativement, Saigon et Cholon sont distinctes, mais commerciallement et en fait, elles ne forment qu'une agglomération unique. Saigon compte aujourd'hui 293.890 habitants, et Cholon 191.509, soit au total près de 500.000 habitants.
Mais Cholon a conservé un aspect à part. Si l'on excepte les logements de fonctionnaires eu ropéens, c'est une ville chinoise - au point que Pabst y tourna les extérieurs de son film sur Shanghai.
Dans les petites boutiques classiques, on trouve les bazars habituels analogues a ceux qui existent dans toutes les villes d'Extrême-Orient, et dont les articles s'échelonnent du porte-plume réservoir à bon marché jusqu'aux tissus. Mais ce qu'il faut voir, ce sont les petits metiers. Voici, sur le trottoir, devant un modeste éventaire, une Chinoise qui fabrique des brosses à dents. E11e les vend à des prix défiant toute concurrence, 30 ou 35 cents. En queIle matière sont les brins qu'eIle coud avec dextérité en menus pinceaux? Je renonce à le découvrir: eIle ne parle que le chinois, et ma modeste connaissance de la langue annamite ne m'est d'aucun secours.
Voici un homme qui frotte sur un papier abrasif de vieux pions de mah jong. Il les rénove, les b1anchit, les remet à neuf. Le metier doit être rémunérateur, car en haut de tous les grands restaurants chinois de Cholon on entend l'innombrable claquement des pions de mah jong. Les Chinois sont des fervents de ce jeu, qui, en Europe, a connu, voici quinze ans, une vogue éphémère et bien méritée. A propos, pourriez-vous me dire pourquoi le mah jong n'est p1us pratiqué par les Européens? Aucun autre jeu nouveau n'est venu le d'étrôner. Alors? ...
J'ai parlé des restaurants. C'est là une des principales industries de Cholon. Des restaurants il y en a partout, des modestes, des luxueux, depuis le. petit compartiment tout en profondeur jusqu'à la bâtisse moderne à trois étages. Tout le monde connaît cette atmosphère de restaurant chinois, où, entre 1a soupe d'ailerons de requins et la peau de canard grillée, on écoute, parce que c'est le rite, des chanteuses chinoises qu'on préfèrerait, en son for intérieur, voir au diable vauvert.
Il y a aussi à Cholon, la grande industrie. Cel1e des décortiqueries à riz, cel1e des huileries et savonneries, une fabrique de piles électriques, une fabrique de cigarettes. Mais tout cela pourrait exister ailleurs. Nous ne voulons vous parler aujourd'hui que des curiosités de Cholon.
Parmi ces curiosités, citons l'industrie de l'élevage des canards. II existe d'immenses entreprises de couvage d'oeufs de canes. Par milliers, les oeufs de canes sont mis à couver, dans des couveuses artificielles plus ou moins primitives. Lorsque les canards sont éclos, ils sont vendus à des éleveurs qui, dans 1a banlieue de Cholon, les engraissent et lés élèvent. II y a en effet à Saigon-Cholon une formidable consommation de canards. Les oeufs de canes donnent aussi lieu à une exportation importante. Un de ces jours nons vous donnerons un radio-reportage sur cette industrie curieuse.
De nombreuses entreprises de tissages fabriquent des cotonnades, des serviettes. Les métiers à tisser, d'un type primitif, sont entassés dans des compartiments étroits.
Sur la berge d'un arroyo, une tannerie se repère a l'odeur.
Des entrepôts colossaux emmagasinent le paddy, le riz, le coprah, les peaux, le poisson sec, le nuoc-mam. Cholon est en effet le siège du commerce principal de la plupart des produits de la Cochinchine. De véritables trusts chinois de Cholon monopolisent certains commerces.
Tous ces produits, toutes ces industries, font planer sur Cholon une atmosphère où se trouvent les odeurs les plus variées. Vous y reconnaissez, dominant le tout, le fumet de la soupe chinoise, qui débitent tout au long du jour et de la nuit les multiples restaurants et gargotes et les marchands de soupe ambulants. Il doit s'en faire une consommation astronomique. Si votre flair est assez développée, vous reconnaîtrez des relents moins relevés, les uns que vous pouvez citer au passage, les autres, qu'exhalent certaines cours intérieures, qui sont tout simplement ... innombrables.
Cholon, c'est une salade d'odeurs sur une salade de bruits.
Mais, avec cela, c'est un formidable center d'activité, de négoce et de richesses. Malgré son énorme grouillement de ville chinoise, c'est une ville paisible et policée, à laquelle la colonisation française a donné une prospérité considérable.
André Surmer.
* * * * *
This article first appeared in the January 2, 1941 issue of Indochine Hebdomadaire Illustré.
Editor's Note: From time to time, we find items of interest that are out of print and in the public domain. We will put them online for your enjoyment.
* * * * *
See also:
Dominique's photos of Cholon.
Peter Geiser's Guide to Cholon.
Photos of Cholon in the 60's, by the veterans of the Phu Lam Signal Facility.
* * * * *